Chapitre 17.

Titre
Della crudelta et clementia et se gli è meglio esser' amato o temuto Cap .XVII.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
De la cruauté & clémence, et s'il vault mieux avoir l'amour que la crainte de ses subiectz. Chapitre XVII De la cruaulté et misericorde, et s'il vaut mieux estre aimé que craint Chap. 17. De la cruauté, et clemence, et qui est le meilleur d'estre aymé, ou craint. Chapitre XVII. De la cruaute & clemance, & quel est le meilleur d'estre aymé ou craint. Chap. 17.



Segment 1
Descendendo appresso a l'altre qualità preallegate, dico che ciascuno Principe deve desiderar' d' esser' pietoso tenuto et non crudele. Nondimanco, deve advertir' di non usar' male questa pietà.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Il est certain et hors de contention, que tous les princes doibvent désirer la louenge de pitié et clémence, plustost que le blasme de cruaulté. Touteffoys l'on doibt bien prendre garde que celle clémence ne soit mal usée, et qu'elle ne cedonde à plus grand diffame. Descendant aux autres qualitez dessus nommees ie di que chasque Prince doit grandement souhayter d'estre tenu pitoyable et non pas cruel : neantmoins il se doit bien prendre garde de n'appliquer point mal ceste misericorde. Descendant par le menu aux autres qualitez cy dessus mentionnées, ie dy que le Prince se doit faire sus toute choses estimer pitoyable, et non cruel : ce neantmoins il aura esgard a n'user mal a propos de ceste pitié. Descendant aux autres qualitez dessus nommées ie dy que tout Prince doit grandement souhayter d'estre tenu pitoyable non pas cruel : neantmoins il se doibt bien prendre garde de n'appliquer mal cette misericorde.



Segment 2
Era tenuto Cesare Borgia crudele, nondimanco quella sua crudeltà haveva racconcia la Romagna, unitola, ridottola in pace et in fede.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
César Borgia estoit estimé cruel, touteffoys l'on a congneu par expérience que sa rigorosité, qui estoit appelée cruaulté, avoit esté la principalle cause de pacifier et réünir la Romaigne, et de la reduyre en paix et obéyssance. Cæsar Borge fut estime cruel, et toutesfois sa cruaute a redresse toute la Romaigne, l'a unie et reduitte en paix, et fidelite. Cesar Borgia estoit reputé cruel, toutesfois sa cruauté remit en ordre, reünit, et reduisit le païs de la Romaigne. Cesar Borge fut estimé cruel : toutefois sa cruauté a redroissé toute la Romagne, l'a unie & reduitte en paix & fidelité.



Segment 3
Il che, se si considerrà bene, si vedrà quello esser' stato molto più pietoso che il Popol' Fiorentino, qual', per fuggir' il nome di crudele, lasciò distrugger' Pistoia.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Laquelle chose bien considerée fera juger à ung chacun qu'il fut beaucoup plus pitoyable et humain en effect, que le peuple florentin, lequel pour estre estimé pitoyable en fumee, et n'encourir le blasme de cruaulté, laissa mettre Pistoye en ruyne et désolation. Ce que bien considere il se trouverra estre beaucoup plus pitoiable que non pas le peuple Florentin qui pour eviter le nom de cruaute laissa destruire Pistoie. Et si lon considere bien cecy, on le trouvera beaucoup plus piteux, que ne furent les Florentins : lesquelz pour n'oser apparoistre cruelz, laisserent destruire la ville de Pistoie. Ce qui bien consideré il se trouvera estre beaucoup plus pitoyable que le peuple Florentin qui pour eviter le nom de cruauté laissa destruire Pistoie.



Segment 4
Deve pertanto un' Principe non si curar' de l'infamia di crudele per tener' i sudditi suoi uniti et in fede. Perche con pochissimi essempi sarà più pietoso che quelli li quali per troppa pietà lasciono seguir' i disordini, onde naschino occisioni o rapine, perche queste sogliono offendere una università intiera, et quelle esecutioni che vengono dal' Principe offendono un' particular'.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Ung prince donc ne se doibt pas grandement soucyer de ceste vaine gloire de pitié, ny d'estre pour peu de temps diffamé pour cruel, affin que par sa sévérité il tienne ses subjectz en union et obéyssance, pource que par le chastiement de peu, faict avec quelque griefve punition, on le verra estre en effect plus pitoyable, que ceux qui par trop grande pitié envers les maulvais, laissent naistre les séditions et désastres dont les occisions, ravissementz, pilleries, et larcins proviennent. Entre lesquelles choses il y a bien grande différence, pource que ces choses icy ont accoustumé d'offenser et endommager toute la communauté, mais les exécutions provenantes du prince ne touchent jamais qu'ung homme particulier. Un Prince donc ne se doit point soucier de la renommee de la cruaute pour tenir tous ses subiectz en union et obeissance. Car avec bien peu de graces et misericordes tu seras estime plus clement que ceux qui pour estre trop misericordieux et doulx laissent ensuyvre desordres et debaux, desquelz naissent meurdres, et rapines, qui font mal entierement a tous : mais les punitions que faict le Prince ne nuisent sinon qu'a un particulier. Parquoy le Prince ne se donnera pas grand soucy de se voir tenir pour tel, mais que par ce moyen il entretienne son peuple en fidelle union et obeïssance. Car usant seullement de cinq ou six exemples de cruelle rigueur ou il sera necessaire, ne lairra pour cela d'estre iugé autant, ou plus piteux, que ceux, lesquelz par leur pitié malmesurée, souffent pululler mille abus en leurs terres, qui donnent matiere a infinis meutres, et volleries, dont toute une patrie est interessée : et les executions rigoureuses d'un Prince ne viennent qu'a l'interest de quelques particuliers. Le Prince donc ne se doibt point soucier de la renommée de la cruauté pour tenir tous ses sujetz en union & obeissance. Car avec bien peu de graces & misericordes il sera reputé plus clement que ceux qui par estre trop misericordieux & doux laissent ensuivre des desordres & esclandres desquelz naissent meurdres & rapines, qui font mal entierement à tous : mais les punitions que fait le Prince ne nuisent sinon qu'a un particulier.



Segment 5
Et infra tutti e Principi al Principe nuovo è impossibile fuggir' il nome di crudele per esser' li stati nuovi pieni di pericoli.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Or est il ainsy qu'à tous princes il est difficile, mais au nouveau prince il est totallement impossible, d'éviter le renom de cruel, à cause que les nouveaux estatz sont remplyz de grandz dangiers et révoltemens. Entre autres a un Prince nouveau il est impossible d'eviter le nom de cruel, pource que les nouveaux estatz sont fort perilleux. Mesmement le Prince nouveau, entre tous les autres, ne peut fuir le nom de cruel, parce que les nouveaux estatz sont subietz à tant d'inconveniens, Entre autres au Prince nouveau est impossible d'eviter le nom de cruel, parce que les nouveaux estatz sont fort perilleux.



Segment 6
Onde Virgilio per la bocca di Didone escusa le inhumanità del' suo Regno, per essere quel' nuovo, dicendo: « Res dura, et Regni novitas me talia cogunt, Moliri, et late fines custode tueri ».
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
À raison dequoy Vergille par la bouche de Dido, excuse l'inhumanité de son royaulme nouvellement fondé en disant à Jhoneus : Res dura et regni novitas me talia cogunt Moliri et late fines custode tueri Comme s'il eust voulu dire : Mon nouveau règne et affaires urgens Ce que tu vois m'ont contraincte entreprendre Et par ma terre en armes tenir gens Pour mon passaige et entrée défendre Et de la Virgile par la bouche de Didon excuse la cruaute dont elle usoit en son roiaume, d'autant qu'il estoit nouveau, disant, Le dure besoing ioint a la nouveaute Du regne mien me contraint d'entreprendre Garnir de gens au large tout coste De mon païs, pour la marche deffendre. que Virgile à ce propos excuse par la bouche de Dido l'inhumanité de son Royaume, pour estre freschement estably, en disant : Res dura, et regni novitas me talia cogunt Moliri, et laré fines custode tueri. L'aversité, et mon regne frais né Font, qu'ainsi pres à mon fait ie regarde, Et que ie tien puissante et sevre garde Autour des fins de ce peuple estonné. Et de la Virgile par la bouche de Didon excuse la cruauté dont elle usoit en son royaume, d'autant qu'il estoit nouveau, disant, Le dur estat ou mes affaires sont Et de mon regne aussi la nouveauté Telz cas cruelz ores faire me font Et garnisons mettre de tout costé.



Segment 7
Nondimeno deve esser' grave al' creder' et al' moversi, ne si deve far' paura da se stesso, et proceder' in modo temperato con prudentia et humanità, che la troppa confidentia non lo faccia incauto et la troppa diffidentia non lo renda intollerabile.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Touteffoys il ne doibt point estre légier, ains grave et posé à croyre ce qu'on lui diroit, et tardif à s'esmouvoir, et sur tout qu'il ne s'estonne soy mesme en aucune chose, ains doibt procéder en température de la prudence meslée avec l'humanité, en sorte que trop de confiance ne le face décepvable, et trop de deffiance ne le rende insupportable Toutesfois il ne doit pas croire de leger ny se colerer si tost n'y s'efaroucher soi mesme, ains s'y porter d'une maniere attrempee, avec sagesse et humanite de peur que trop de confiance ne le face mal songneux, et trop de defiance ne le rende insupportable. Ce néantmoins il ne se doit addonner à croire, et s'esmouvoir legerement, ne se faisé peur de son ombre sans apparence, et proceder avec une telle temperation de prudence, et humanité, que la trop grande confiance ne l'endorme point, et la defiance excessive ne le rende intollerable. Toutefois il ne doibt pas croire de leger ne se colerer si tost ne s'efaroucher soymesme : ains s'y porter d'une maniere attrempée avec sagesse & humanité de paour que trop de confiance ne le fasse mal-songneux & trop de de fiance ne le rende insuportable.



Segment 8
Nasce da questo una disputa, se gli è meglio esser' amato che temuto o temuto che amato,
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Sur ceste matière l'on faict communément une question, à sçavoir si pour se maintenir en estat il vault mieulx estre aymé que craint et redoubté des subjectz, ou s'il vault mieulx se faire craindre que de se faire aymer. La dessus on pourroit faire une question s'il est meilleur d'estre aime ou craint, ou au contraire. De cecy naist une commune dispute, à sçavoir s'il vaut mieux estre aimé, que craint, ou l'un, que l'autre. La dessus on pourroit faire une question s'il est meilleur d'estre aymé ou craint, ou au contraire.



Segment 9
Respondesi che si vorrebbe essere l'uno et l'altro, ma perche gli è difficile che gli stiano insieme, è molto più securo l'esser' temuto che amato, quando s' habbi a mancar' de l'un' de doi.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Aquoy l'on pourroit respondre que l'on doibt désirer tous les deux, et qu'ung prince soit pareillement aymé et redoubté. Touteffois pource qu'il est impossible qu'ung homme soit tous les deux ensemble, il est beaucoup plus seur d'estre craint que d'estre aimé, s'il falloit estre privé de l'ung des deux. Ie respons qu'il fauldroit estre et l'un et l'autre : Mais pource qu'il est bien difficile qu'il soient ensemble, il est beaucoup plus seur de se faire craindre, que non pas aimer, s'il faut qu'il n'y ait seulement que l'un des deux. Ie respondray, que c'est beaucoup le meilleur d'avoir les deux ensemble, qui peut : mais estant chose fort difficile d'embrasser le tout, c'est bien le plus asseuré d'estre craint, qu'aymé : puis qu'il te faut manquer de l'un des deux. Ie responds qu'il faudroit estre & l'un & l'autre : Mais pource qu'il est bien difficile qu'ilz soyent ensemble, il est beaucoup plus seur de se faire craindre, qu'aymer, s'il faut qu'il n'y ait seulement que l'un des deux.



Segment 10
Perche de gli huomini si può dir' questo generalmente, che sieno ingrati, volubili, simulatori, fuggittori de pericoli, cupidi di guadagno, et mentre fai lor' bene son' tutti tuoi, ti offeriscono il sangue, la robba, la vita, et i figli, come di sopra dissi, quando il bisogno è discosto, ma quando ti s' appressa, si rivoltano. E quel' Principe che' si è tutto fondato in su le parole loro, truovandosi nudo d' altri preparamenti, rovina.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
La principalle cause qui m'esmeut à dire ainsy est que l'on peult générallement dire cecy des hommes, qu'ilz sont tous ingratz, variables, dissimulateurs, fuyartz des dangiers, convoiteux de gaigner, promptz à servir, quand le seigneur leur faict du bien, ilz sont tous siens, ilz offrent le sang, les biens, la vie et les enfans à son commandement quand le dangier et la nécessité est loing, mais aussi tost qu'ilz voyent le dangier estre près d'eulx, ilz se révoltent incontinent. Tellement que si ung prince n'est fondé que sur leurs parolles et promesses, se trouvant nud et dépourveu d'autres préparations pour sa seureté sur le champ tumbe en ruyne. Car on peut dire generalement une chose de tous les hommes, qu'ilz sont ingratz, changeurs, deguiseurs, feignant le danger, desirans de gaigner, ausquelz ce pendant que tu fais du bien ilz sont tous a toy, ilz t'offrent le sang et les biens, la vie et les enfans, comme i'ay dessus dict, quand il n'en est pas besoing, mais quand l'affaire presse ilz se revoltent. Donc le Prince se ruine qui se fonde seulement sur leur parolle, se trouvant tout nud des autres appareilz. La raison y est, parce que les hommes sont en general plains d'ingratitude, variables, similateurs, fuyans les dangers, et cupides de gain. Et tant qu'ilz profiteront avecque toy, tu les tiendras en ta manche : te faisans offre de leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfans, selon que i'ay dit cy dessus, lors qu'il n'en est point de besoin. Mais quand l'affaire s'approche, tu les voirras incontinent tourner leur robe à l'envers, si bien que le Prince qui s'arreste sur leurs parolles, sans se preparer d'autre renfort, tombera du premier coup en ruyne : Car on peut dire generalement une chose de tous les hommes, qu'ilz sont ingratz, changeurs, deguiseurs, feignans le danger, desireux de gaigner : ausquelz ce pendant que tu fais du bien ilz sont tous à toy, ilz t'offrent le sang & les biens, la vie & les enfans (comme i'ay dessus dit) quand il n'en est pas besoin, mais quand l'affaire presse ilz se revoltent. Donc le Prince se ruine qui se fonde seulement sur leur parolle, se trouvant tout denué d'autres appareilz.



Segment 11
Perche l' amicitie che s'acquistan' col' prezo, et non con grandeza et nobilità d' animo, si meritano, ma le non s' hanno, et a tempi non si possono spendere. Et gli huomini hanno men' rispetto d'offender' uno che si facci amare, che un' che si facci temere. Perche l'amor' è tenuto da un' vinculo d' obligo, il qual', per esser' li huomini tristi, da ogni occasione di propria utilità è rotto. Ma il timor' è tenuto da una paura di pena che non abbandona mai.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Car les amitiéz qui s'acquièrent par argent et non par grandeur et noblesse de cueur, sont de bon gaing, mais de mauvaise garde, et ne les peut on employer au besoing. Il y a ce dangier davantaige, que communément les hommes ont moins d'esgard d'offenser ung prince qui se face aimer, qu'ung qui se face craindre. Car l'amour est seulement retenue par ung lyen d'obligation que l'on rompt incontinent que l'on trouve quelque petite occasion du prouffict privé, et en ce n'y a jamais faulte, pource que les hommes sont par ordinaire meschans. Mais la crainte est retenue par une pæur de punition que jamais n'abandonne l'homme. Car les amitiez qui s'acquierent avec argent, et non par avoir le cœur noble et hautain, elles se meritent bien, mais on ne les tient pas, et au besoing on ne les peut emploier : d'autant que les hommes n'ont pas si grand respect d'offencer un homme qui se face aimer qu'un autre qui se face craindre : car l'amitie est tenue par un lien d'obligations lequel (d'autant que les hommes sont meschants) la ou l'occasion s'offrira de proffit particulier il est rompu. Mais la crainte est tenue d'une peur de peine, qui ne faut iamais. parce que les amitiez, que lon a gagnées avec de l'argent, et non par la grandeur, et noblesse de courage, sont bien meritées, et achaptées mais elles ne se peuvent garder, ny emploier a la necessité. D'advantage les hommes font moindre cas d'offenser celuy qui se fait aimer, qu'un autre, de qui on a crainte. Car l'amitié ne tient qu'à un lieu d'obligation, lequel pour la mauvaitié des hommes est rompu à la premiere occasion, qui s'offre, de faire son particulier profit en te nuysant. Mais la crainte est fondée sur une peur de punition, laquelle n'abandonne iamais. Car les amitiez qui s'acquierent avec argent & non par cueur noble & hautain, elles se meritent bien, mais on ne les tient pas, & au besoin on ne les peut employer : d'autant que les hommes n'ont pas si grand respect a offencer un homme qui se fasse aymer qu'un autre qui se fasse redouter : car l'amitié est tenue par un lien d'obligations lequel (d'autant que les hommes sont meschans) la ou l'occasion s'offrira de proufit particulier il est rompu. Mais la crainte est tenue d'une paour de peine, qui ne faut iamais.



Segment 12
Deve nondimeno il Principe farsi temer' in modo che, se non acquista l'amor' e fugga l'odio, perche può molto ben' star' insieme esser' temuto et non odiato.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Si fault il que le prince preigne garde à ne se porter trop asprement pour se faire craindre, et que s'il n'acquiert l'amour, à tout le moins qu'il fuye la malveillance des hommes. Et si ne fault penser que ce soient deux choses incompatibles l'estre craint et non hay. Neantmoins le Prince se doit faire craindre en sorte que s'il n'aquiert point l'amitie, pour le moins qu'il fuie l'inimitie : car il peut bien avoir tous les deux ensemble, d'estre craint, et n'estre point hay, Toutesfois le Prince se doit faire craindre en mode, que s'il n'acquiert l'amour, pour le moins il evite la haine : estans choses qui se peuvent mout bien compatir ensemble, que d'estre craint, et non haï. Neantmoins le Prince se doibt faire craindre en sorte que s'il n'aquiert point l'amitié, pour le moins qu'il fuye l'inimitié : car il peut bien avoir tous les deux ensemble, d'estre craint & n'estre point hay :



Segment 13
Il che farà sempre che s' astenga da la robba de suoi Cittadini et de suoi sudditi et da le donne loro, et quando pure gli bisognasse proceder' contro al' sangue di qualcuno, farlo quando vi sia giustification' conveniente et causa manifesta.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Car cela peut advenir toutes foys et quantes qu'il ne touchera aux biens de ses citoyens et subjects, ny à leurs femmes. Et quand ores il fauldroit procéder par exécution contre le sang de quelcun, qu'il le feist avec convenable justification et à juste cause qui fust notoyre. Et sur tout qu'il s'abstienne des biens daultruy. ce qui aviendra tousiours s'il se garde de prendre les biens et richesses de ses citoyens et subiectz, et leur femmes. Et quand bien il seroit force de proceder contre le sang de quelcun, ne le faire point sans l'ouir en ses iustifications convenables, ny sans forme de procez : mais sur toutes choses s'abstenir du bien d'autruy, Ce qu'il fera tousiours aisément, ne touchant point aux biens, ny aux femmes de ses citoyens, et subietz. Et quand encores il luy feroit necessaire poursuivre la mort de quelqu'un faudroit attendre la commodité de quelque iuste couleur, et cause manifeste, pourveu que ce faisant il s'abstienne de la confiscation : ce qui aviendra tousiours s'il s'abstient de prendre les biens & richesses de ses citoyens & sujetz & leurs femmes. Et quand bien il seroit forcé de proceder contre le sang de quelqu'un, ne le faire point sans l'ouïr en ses iustifications convenables, ne sans forme & figure de procez :



Segment 14
Ma sopra tutto astenersi da la robba d' altri, perche gli huomini dimenticano più presto la morte del' padre che la perdita del' patrimonio; di poi le cagion' del' tòr' la robba non mancono mai, et sempre, colui che comincia a viver' con rapina, truova cagion' d'occupar' quel' d'altri; et per adverso contro al sangue son più rare, et mancan' più presto.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Car communément les hommes mectent plus tost en oubly la mort du père que la perte du patrimoyne. En après les causes d'envahir le bien daultruy par confisquation ne déffaillent jamais, et qui commence à vivre de pilleries treuve d'ung jour à l'autre nouvelles occasions d'occuper les biens de qui il luy plaist ou au contraire les causes de mectre à mort homme sont plus rares et déffaillent plus tost. car les hommes oublient plustost la mort de leur pere, que la perte de leur patrimoine. D'avantage les occasions ne faillent iamais pour oster le bien d'autruy, et celuy qui a commence de vivre de pillage trouve de nouvelles occasions pour occuper le bien des autres, mais d'autre coste on n'en a pas si tost pour les faire mourir. parce que les enfans, qui restent, oublient plus tost la mort de leur pere, que la perte de leur patrimoine. Outre cela les raisons de tollir, et ravir les biens ne defaillent iamais a celuy, qui a un coup appris le train de vivre par rapine : ou les causes de faire mourir un homme sont plus rares, et moins aisées a trouver. mais sur toutes choses s'abstenir du bien d'autruy, car les hommes oublient plus tost la mort de leur pere que la perte de leur patrimoine. D'avantage les occasions ne faillent iamais pour oster le bien d'autruy, & celuy qui a commencé de vivre de pillage trouve de nouveaux moyens pour occuper le bien des autres, mais d'autre costé on n'en a pas si tost pour les faire mourir.



Segment 15
Ma quando il Principe è con gli eserciti et ha in governo moltitudine di Soldati, al'hora è al tutto necessario non si curar' del' nome di crudele, perche senza questo nome non si tiene un' esercito unito ne disposto ad alcuna fattione.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Mais quand le prince est sur le champs et qu'il gouverne une multitude de souldardz, il est nécessaire qu'il soit expéditif et cruel, à cause que sans cruaulté l'on ne peult tenir un camp uny, sans tumultes et mutineries, ny bien disposé à faire faict d'armes. Or quand un Prince conduict un camp, gouvernant une grande compaignie de soldars, lors il ne se faut nullement du monde se soucier du nom de cruel : car sans ce nom un exercite n'est point bien renge ny appareille a faire quelque faction. Mais quand le Prince est au camp, et à multitude de soudars en gouvernement, il faut par force allors, qu'il ne craigne point d'estre estimé sanguinaire : autrement s'il ne est reputé tel, son exercite ne demeurera iamais en union, ny en disposée volonté de bien faire. Or quand un Prince conduit un camp, gouvernant une grande compaignie de soldats, lors il ne se faut nullement soucier du nom de cruel : car sans ce nom un ost n'est pas bien rengé ny appareillé à faire quelque faction.



Segment 16
Intra le mirabil' attioni di Annibale si connumera questa, che, havendo uno esercito grossissimo, misto d' infinite generationi d'huomini, condotto a militar' in terre d'altri, non vi surgessi mai una dissensione, ne infra loro, ne contro el Principe, così ne la trista come ne la sua buona fortuna.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
L'on racompte une chose esmerveillable entre les gestes d'Annibal de Carthage : c'est qu'ayant une tresgrosse armée, meslée de toutes génération d'hommes, conduicte à faire la guerre en pays estrangé, jamais entre ses souldardz il n'y eut aucune dissension ny tumulte contre luy, ny contre aucun capitaine ou compaignon tant en ses prospéritez qu'en ses adversitez. Entre les esmerveillables choses qu'a faict Annibal, on conte ceste ci qu'aiant un exercite fort gros mesle d'infinies nations, conduict a combatre en païs estranger, il ne se leva iamais une seule dissension, ny entre eux, ny contre leur Prince, autant en mauvaise, comme en bonne fortune, Entre les admirables actions d'Annibal, l'on racompte celle, qu'ayant une si grosse armée meslée d'une infinité de nations transportée en un païs estrange pour batailler, il ne s'y esleva oncques sedition, ny entre les soudars, ne contre leur chef, pour bonne ou mauvaise fortune qui advint. Entre les esmerveillables choses qu'à fait Annibal, cette est racomptée qu'ayant une armée fort grosse meslée d'infinies nations, conduitte a combatre en païs estrange, il ne se leva iamais une seule dissension ny entre eux ny contre leur Prince, autant en mauvaise, comme en bonne fortune :



Segment 17
Il che non poté nascer' da altro che da quella sua inhumana crudeltà, la qual', insieme con infinite sue virtù, lo fece sempre nel' cospetto de suoi soldati venerando et terribile.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Laquelle chose ne pouvoit prouvenir d'ailleurs que de sa naturelle inhumaine cruaulté, qui le rendoit avec plusieurs grandes vertuz au conspect des souldardz tousjours terrible et vénérable. ce qui ne procedoit d'autre chose que de ceste inhumaine cruaulte, laquelle ensemble avec infinies autres vertuz l'a tousiours rendu devant ses soldars venerable et terrible, Ce qui ne peut estre moyenné d'ailleurs, que de ceste sienne inhumaine cruauté, laquelle iointe avecques ses autres infinies vertues, le rendit tousiours venerable, et terrible à l'aspect de ses gens, ce qui ne procedoit d'autre chose que de cette inhumaine cruauté, laquelle ensemble avec infinies autres vertuz l'a tousiours rendu devant les soldats venerable & terrible,



Segment 18
Et senza quella, l'altre sue virtù a far' quello effetto non gli bastavano; et gli scrittori poco considerati dal'una parte admirano queste sue attioni, et da l'altra dannano la principal' cagione d'esse.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Lesquelles touteffoys sans icelle n'eussent esté suffisantes à leur faire ainsy obéyr. Enquoy les autheurs qui en escripvent se montrent peu considérez et mal entenduz es affaires du monde. Car d'une part ilz admirent ses grandz faictz et appertises de guerre, et de l'aultre blasment la principalle cause dicelles. et sans laquelle les autres vertuz n'eussent pas este suffisantes a faire ces choses qu'il a faittes. Duquel ceux qui escrivent sans y bien regarder de pres s'esmerveillent de ce qu'il a faict d'un coste, et de l'autre ilz accusent et condannent ce qui en a este la principale cause. et sans icelle le reste de ses vertueuses parties ne luy eust suffy à executer cest effet. Si est ce que les historiens mal advisez en cecy ont d'un costé haut loué en luy ceste heureuse conduite, et blasmé d'autre la principalle occasion d'icelle. & sans laquelle les autres vertuz n'eussent pas esté suffisantes à faire les actions qu'il ha accomplies. Duquel ceux qui escrivent sans y bien regarder de prez s'esmerveillent de ce qu'il a fait, d'un costé & de l'autre ilz accusent & condannent ce qui en a esté la principale cause.



Segment 19
Et che sia il vero, che l' altre sue virtù non gli sarien' bastate, si può considerare in Scipione, rarissimo non solamente ne tempi suoi ma in tutta la memoria delle cose che si sanno, dal' qual' gli eserciti suoi in Hispagna si ribellorno: il che non nacque d'altro che de la sua troppa pietà, la quale haveva dato a soldati più licentia che a la disciplina militar' non si conveniva.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Et qu'il soit vray que ses autres vertuz n'eussent peu faire tel effect en luy, on le peult aiseement veoir et congnoistre, en considérant la vie de Scipion qui fut ung homme tresrare et non pareil, non seullement en son temps, mais en toute la mémoire des choses qui se sçavent par escript. Contre lequel il se leva une mutination de son armée lors qu'il estoit en Hespaigne. Laquelle chose n'advint que de sa clémence naturelle, qui estoit trop grande, en sorte qu'elle avoit donné aux souldardz plus de licence qu'il n'estoit convénable à la dicipline militaire. Et qu'il soit vray que les autres vertuz n'estoient pas suffisantes, on le peut facilement considerer par l'exemple de Scipion homme tresrare non seulement de sa memoire, mais aussi de tout temps qu'on sçache, toutesfois ses gens se rebellerent contre luy en Espaigne, ce qui n'avint d'autre chose que de ce qu'il estoit trop doulx et pitoiable, aiant donne a ses soldars plus de liberte et licence qu'il n'en falloit pour la discipline de guerre. Et qu'il soit vray, que ses autres vertus ny fussent esté suffisantes, il se prouvera assez, considerant la fortune de Scipion l'Afriquan personnage autant singulier, et excellent que il en fut oncques en nature, dont l'on face mention : toutesfois son armée se mutina contre luy en Espagne, dequoy rien ne fut cause, que sa trop grande douceur et humanité, laquelle avoit permis plus de licence à ses soudars, que la discipline militaire ne requeroit. Et qu'il soit vray que les autres vertuz n'estoyent pas suffisantes, on le peut facilement considerer par l'exemple de Scipion personnage tres-rare non seulement de sa memoire, mais aussi de tout temps qu'on sache, toutesfois ses gens se rebellerent contre luy en Espaigne ; ce qui n'avint d'autre chose que de ce qu'il estoit trop doux & pitoyable, ayant donné à ses soldats plus de liberté & licence qu'il n'en falloit pour la discipline de guerre.



Segment 20
La qual' cosa gli fù da Fabio Massimo nel' Senato rimproverata, nominandolo corruttor' della Romana militia.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Ce qui luy fut reproché par Fabius Maximus dans le Sénat, en le nommant corrupteur de la gendarmerie romaine. Ce qui luy fut reproche en plain Senat par Fabie Maxime, l'appellant corrupteur de la gendarmerie Romaine, Ce qui luy fut reproché par Fabius Maximus en plain Senat, l'appellant corrupteur de la gendarmerie Romaine. Ce qui luy fut reproché en plain Senat par Fabie Maxime, l'appellant corrupteur de la gendarmerie Romaine,



Segment 21
I Locrensi essendo stati da un' legato di Scipione distrutti, non furon' da lui vendicati, ne l' insolentia de quel' legato corretta, nascendo tutto da quella sua natura facile; talmente che, volendolo alcuno in Senato escusare, disse com' egli eran' molt' huomini che sapevan' meglio non errar' che corregger' gli errori d'altri.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Davantage les citoyens de Locri qui avoient esté destruictz et tyrannizez par ung lieutenant de Scipion ne sçeurent avoir justice de luy, et l'insolense du lieutenant ne fut aucunement punye, ny eulx aussy récompensez par luy, à cause de sa bonté et humanité naturelle. Tellement que le voulant quelcun excuser dit au Sénat, qu'ilz luy pardonassent, à cause qu'il y avoit plusieurs hommes qui sçavoient mieulx ne faillir d'eulx mesmes, qu'amender les faultes daultruy. mesmes que Les Locrois aians este pillez et destruitz par un Lieutenant de Scipion n'en furent point vengez, ny le mauvais gouvernement de ce lieutenant corrige par luy, tout cela procedant de sa nature facille et trop bonne : tellement que le voulant quelcun excuser envers le Senat dict qu'il y avoit plusieurs gens qui sçavoient beaucoup mieux ne faillir point, que corriger les fautes d'autruy. Les Locrois qui avoient esté pillez et destruitz par un lieutenant de Scipion, ne furent point vangez de ceste insolence, et exaction, pour la facilité de sa nature : tellement que quelqu'un le voulant excuser au Senat, allegua comme il avoit maintz hommes, qui s'entendoient mieux à ne point faillir, qu'a corriger les fautes d'autruy. mesme que les Locrois ayans esté pillez & destruits par un Lieutenant de Scipion n'en furent point vengez, ne le mauvais gouvernement de ce lieutenant corrigé par luy, tout cela procedant de sa nature facile & trop gracieuse tellement que le voulant quelcun excuser envers le Senat dit qu'il y avoit plusieurs gens qui savoient beaucoup mieux ne faillir point, que corriger les fautes d'autruy.



Segment 22
La qual' natura harebbe col' tempo violato la fama et la gloria di Scipione, se egli havessi con essa perseverato nel' Imperio; ma, vivendo sotto il governo del' Senato, questa sua qualità dannosa non solamente si nascose, ma gli fù a gloria.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Laquelle nature eust finablement violé et déshonoré la renommée de Scipion, s'il eust pérsévéré en celle charge avec ces meurs : mais à cause qu'il vivoit soubz le gouvernement d'ung Sénat, celle qualité naturelle et dommageable en luy non seullement fut cachée et couverte par ses vertuz, mais luy redonda à tresgrand gloire. Si bien que cette nature eust avecq' le temps gaste la renommee et gloire de Scipion, s'il l'eust tousiours pratiquee estant capitaine, mais vivant soubz le gouvernement du Senat telle qualite dommageable non seulement se cacha, mais luy tourna en plus grande louange. Et de fait ceste complexion eut finablement denigré sa gloire, et bonne renommée la continuant au maniment des affaires de cest Empire : Mais vivant soubz la discretion du Senat, ceste sienne qualité dommageable ne fut seullement cachée, ains retourna à l'augmentation de sa louange. Si bien que cette nature eust avec le temps gasté la renommée & gloire de Scipion, s'il l'eust tousiours pratiquée estant capitaine, mais vivant soub le gouvernement du Senat telle qualité dommageable non seulement se cacha, mais luy tourna en plus grande louange.



Segment 23
Conchiudo adunque, tornando a l'esser' temuto et amato, che, amando gli huomini a posta loro et temendo a posta del' Principe, deve un' Principe savio fondarsi in sù quello che è suo, non in sù quello che è d' altri; deve solamente ingegnarsi di fuggir' l'odio, come è detto.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Parquoy je concludz pour tourner à nostre propos d'estre craint ou aimé, que pour cause que communément les hommes ayment à leur poste et craignent à la poste du prince, et font par amour ce qu'il leur plaist, mais par crainte font ce qu'il plaist à luy, ung sage prince se doibt fonder sur ce qui vient de luy, et non sur ce qui provient daultruy. Et seulement qu'il se donne de garde et pourvoye par tous moyens qu'il ne tumbe en hayne et malveillance du peuple comme j'ay dict cy dessus. Retournant doncques a ce que ie disois d'estre craint et aime, ie conclus que puis que les hommes aiment selon leur fantasie, et craignent a la discretion du Prince, un Prince sage et bien avise se doit fonder sur ce qui est propre a luy, et non par sur ce qui est propre aux autres : il se doit seulement estudier a n'estre point hay comme i'ay dict. Ie concluray, doncq en reprenant le propos d'estre craint et aymé, que puisque les hommes ayment comme il leur plaist, et craignent comme il plaist au Prince, s'il est sage se doit fonder sur ce qui depend de luy, et non de l'autruy : mais seullement tascher à n'estre point haï, comme nous avons compté. Retournant doncques à ce que ie disois d'estre craint & aymé, ie conclus que puis que les hommes ayment selon leur fantaisie & craignent à la discretion du Prince, le Prince prudent & bien avisé se doit fonder sur ce qui est propre a luy, nompas sur ce qui est propre aux autres : il se doibt seulement estudier a n'estre point hay, comme i'ay dit.