1 : Il reste seullement en cest endroit deviser des Principautez Ecclesiastiques, autour desquelles n'y a difficulté, sinon durant la poursuitte d'y parvenir : dautant qu'elles s'acquierent, ou par vertu, ou par fortune, et se conservent sans l'une, ne l'autre, estans assez soustenues par les statuz inveterez en la religion Chrestienne, lesquelz sont tous de telle puissance et authorité, qu'ilz maintiennent d'eux mesmes leurs prelatz en possession paisible de leurs estatz, quelque mode de faire ou vivre qu'ilz tiennent.
2 : Ceste seule sorte de gens ont seigneuries, et ne les defendent point : ont subietz, et ne les gouvernent point.
3 : Et toutesfois leurs seigneuries ne leur sont iamais ostées, encores que iamais on ne les defende, ny n'ont soucy leurs subietz si on les laisse sans gouvernement. Lesquelz ne pensent, et ores quand ilz le penseroient, ne peuvent s'alliener aucunement de leurs superieurs.
4 : Ces seules principautez sont doncques asseurées et heureuses : mais au moyen de ce qu'elles sont conduites, et guidées par divins iugemens, dont l'esprit, et sens humain ne peut approcher, ie me deporteray d'en parler : parce qu'estans exaltées, et entretenues de Dieu, seroit l'acte d'un homme presumptueux, et temeraire, d'en vouloir faire discours.
5 : Neantmoins si quelqu'un me demandoit, d'ou est procedé, que l'Eglise soit, quant au temportel, venue à telle grandeur, attendu qu'auparavant Alexandre sixiesme les potentatz d'Italie, et non seulement ceux, qui s'appellent potentatz, mais tant petit baron ou seigneur qui eust peu estre, ne tenoit compte d'elle au regard de la temporalité, et depuis elle est devenue si puissante, qu'elle a peu ietter un Roy de France hors de l'Italie, avecques toute sa puissance, et abbaisser la reputation des Venitiens. Lesquelles choses bien que soient notoires. Si ne me semble il point superflu, de les reduyre aucunement en memoire.
6 : Avant que le Roy Charles huitiesme passast en Italie, toute la province estoit divisée en subiection du Pape, des Venitiens, du Roy de Naples, du Duc de Milan, et des Florentins.
7 : Ces cinq potentatz devoient avoir deux soings en principalle recommendation, l'un, d'empescher qu'un estranger n'entrast iamais en armes dans l'Italie l'autre, que nul d'eux dilasta plus outre les limites de son Empire.
8 : Ceux qui failloit plus reigler en cecy, estoient le Pape, et les Venitiens. Or pour brider les Venitiens, l'union de tous les autres ensemble suffisoit, comme l'on feit à la deffense de Ferrare. Quant a renger le Pape, ilz se pouvoient servir des barons de Rome, lesquelz estans divisez en deux diverses factions, Ursines, et Collonnoises, nourrissoient perpetuellement matiere de divorces, et esmeutes entr'eux : et consequemment se faisans tous les iours la guerre devant les yeux du Pape, debilitoient grandement son authorité :
9 : en sorte qu'encores il se trouvast parfois quelque Pape de coeur, et entreprise, comme sur Sixte, ce neantmoins la fortune, et le sçavoir ne le peut oncques depestrer de ceste incommodité :
10 : dont la briefveté de leur vie estoit la pluspart en cause : parautant que tout ce que pouvoit faire un Pape en dix ans, que le plus communément ilz vivoient, estoit de remettre ceux de son costé en egallité de vigueur à ses adversaires, sans qu'a peine le reste de son vivant suffist pour abbaisser la ligue contraire. Et si par maniere de dire l'un avoit anneanty le party des Colonnois, il en venoit successivement un autre ennemy des Ursins, qui les faisoit ressusciter : auquel toutefois le temps estoit semblablement trop court, pour adnichiller du tout la faction Ursine.
11 : Celà causoit, que la puissance temporelle du Pape estoit pour lors peu estimée en Italie.
12 : Depuis Alexandre sixiesme se meit en avant, lequel, de tous ses predecesseurs qui furent oncques monstra le mieux ce qu'un Pape pouvoit faire employant le denier, et la force : comme il le declara tresbien es gestes, qu'il feit par les mains du Duc son filz, et moyennant l'occasion, dont il se sçeut fort bien servir à la venue des Françoys, tout ainsi que i'ay cy dessus racompté, parlant des affaires de Cesar Borgia.
13 : Et combien que son intention fust d'agrandir son dit filz, non pas l'Eglise : si retournerent pourtant ses conquestes à l'augmentation d'icelle, qui succeda apres sa mort, et la ruyne du Duc, au profit de toutes ses peines et conquestes.
14 : Apres luy Iulles second vint à la papauté, lequel trouva l'estat de l'Eglise fort opulent, ayant toute la Romaigne subiete, et estans ces barons de Rome entierement mis soubz le pié, ensemble leurs factions annullées par les persecutions, et menées d'Alexandre. Il rencontra aussi la porte ouverte à nouvelles inventions d'amasser deniers, non pratiquées auparavant Alexandre :
15 : lesquelles Pape Iulle non seulement ensuivit mais les accreut grandement : et se proposa de gaigner Bouloingne, roigner les aisles des Venitiens, et chasser les Françoys de l'Italie. Dont il vint heureusement à bout, avec d'autant plus de louanges, qu'il entreprenoit ces choses pour l'accroissance de l'Eglise, et non d'aucun particulier.
16 : Outreplus il rengea tousiours les partialitez Ursines, et Coulonnoises à la raison, qu'il les avoit trouvées.
17 : Et encores qu'il s'eslevast parmi eux quelque autheur de nouvelle sedition, est ce que deux causes les feirent tousiours reserrer, l'une, la grandeur de l'Eglise, qui les tenoit en crainte, l'autre se voyans sans Cardinal de leur party : dont tous leurs troubles, et differens ont cy devant pris, et le plus souvent prennent origine : ny ne seront iamais en repos tant qu'il y aura Cardinal en l'une de ces deux bandes : parce que soubz ce moyen ilz entretiennent leurs partisans dans la ville de Rome, et dehors. Et les Gentilz-hommes sont forcez d'adherer a eux. De maniere que par là congnoist on les discordes, et tumultes naistre de l'ambition des prelatz.
18 : Or maintenant la saincteté de Pape Leon a trouvé le pontificat merveilleusement riche : duquel nous esperons, que si ses predecesseurs l'ont augmenté par les armes, cestuy cy l'accroistra d'advantage par la bonté, se rendant à la parfin grand et venerable par infinies siennes vertuz.