1 : Il n'y a pas peu d'affaire a un Prince de sçavoir bien choisir des serviteurs, lesquelz deviennent ou bons ou mauvais selon la sagesse du Prince.
2 : Donc la premiere coniecture qu'on faict d'un Seigneur, et de son cerveau, c'est de veoir les hommes qu'il tient a l'entour de luy, lesquelz s'ilz sont suffisans et fideles on le pourra tousiours estimer sage d'autant qu'il les a sceu connoistre suffisans, et se les maintenir fideles. Mais quand ilz sont autres on peut tousiours asseoir un sinistre iugement, pource que ceste premiere faute qu'il a faict porte consequence au reste de sa vie, et a l'opinion qu'on aura de luy.
3 : Il n'y avoit celuy qui conneust Messire Athoine de Venafre serviteur de messire Pandolfe Petrucci Prince de Siene qui n'estimast messire Pandolfe estre un tressage homme, de l'avoir pour son serviteur.
4 : Or pource qu'il y a des cerveaux de trois sortes, les uns qui entendent les choses d'euxmesmes, les autres quand elles leur sont enseignees, les tiers qui ny par soymesme ny par enseignement d'autruy ne veullent rien comprendre : Le premier moyen est tresexcellent, le second est singulier, le tierce est du tout inutile. Il falloit donc necessairement que si messire Pandolfe n'estoit au premier degre des bons princes, qu'il fust pour le moins au second.
5 : Pource que toutesfois et quantes qu'un homme a le iugement de connoistre le bien, ou le mal qu'un autre faict, ou dit encores que de soymesmes il ne puisse pas si bien inventer les choses, toutesfois il connoit bien lesquelles sont bonnes ou mauvaises de son serviteur, corrigeant celles ci, et recompensant celles la. Veu que son serviteur ne peut esperer de l'abuser, et pource il marche droit.
6 : Or comme c'est qu'un Prince pourra connoistre son serviteur et sa nature voici un enseignement qui ne faut iamais. Quand tu vois un serviteur penser plus a soy qu'a toy, et qu'en tous ses manimens et affaires il regarde a son proffit, un tel serviteur ne vaudra iamais rien, et ne t'y dois point fier :
7 : pource que celuy la qui gouverne et tient dans sa main tout le gouvernement d'un Prince ne doit iamais penser a s'enrichir, mais plustost son maistre : et ne luy doit parler de rien, sinon qu'il touche le Prince, et qui apartienne aux affaires de son païs. Et d'autre part le Prince pour maintenir son serviteur en ceste bonne affection doit souvent penser a luy, luy donnant honneurs et finances, se l'obligeant a soy, et luy communiquant du prouffit aussi bien que de la peine, affin que les grans biens et richesses qu'il luy donnera soient cause qu'il n'en desire point d'autres, et les grosses charges qu'il soustiendra luy facent craindre les nouveautez : connoissant bien qu'il ne se pourroit maintenir en cest estat sans luy.
8 : Quand donc les Princes et serviteurs sont telz ilz se peuvent fier l'un a l'autre : autrement la fin en sera tousiours dommageable tant a l'un qu'a l'autre.