1 : Or il est certain que si ung prince nouveau observoit les reigles dessus dictes, il sembleroit estre ancien, et seroit beaucoup plus asseuré et ferme en son estat que s'il estoit nay prince.
2 : Pource que les hommes ont ordinairement plus d'esgard aux faictz d'un prince nouveau que d'ung héréditaire : et ses vertuz le font beaucoup plus aggréable et mieulx aymé et servy des hommes que ne faict l'ancienneté et longue succession de ses prédécesseurs.
3 : Car les espritz humains s'estonnent plus des choses présentes que des passées, et s'ilz trouvent du bien en celluy qu'ilz voient tous les jours, ilz s'en content sans désirer aultruy et prennent sa protection de tout ce qui est en eulx, pourveu mesme que le prince ne défaille au demourant à se gouverner avec prudence.
4 : En sorte qu'il aquerra double gloire, l'une d'avoir donné commencement à ung principat nouveau, l'autre de l'avoir aorné et fortifié de bonnes loix, bonnes armes, bons amys, et bons exemples de vertu, sicomme celluy doibt estre doublement déshonoré qui aura par sa sottise et lascheté mys en ruyne ung estat héréditaire et ancien.
5 : Parquoy si quelcun vouloit considérer les seigneurs qui en Italie ont perdu leurs estatz de nostre mémoyre, tout premièrement il trouvera en eulx ung commun défaut de grande importance, qui est de n'avoir entretenu la discipline de guerre et l'exercice des armes, comme cy dessus nous avons discouru. Ceulx qui ont esté chassez de leurs estatz sont le duc de Milan, le roy de Naples et en après une infinité de princes de villes et chasteaux. Secondement il congnoistra que les ungz d'entre eulx ont eu le peuple ennemy, les aultres n'ont sceu s'asseurer des grandz, encor que le peuple leur fust favorable.
6 : Car sans quelcun de ses inconvenients icy, ordinairement les estatz ne se peuvent perdre et principallement s'ilz ont dequoy mectre une armée aux champs.
7 : Philippe de Macedoyne, je ne diz pas du père d'Alexandre, mais de celluy qui fut vaincu par Titus Quintius, n'avoit pas grand estat au respect de la grandeur des Romains et de tout le demourant de la Græce qui luy faisoit la guerre. Touteffoys pource qu'il estoit homme de guerre, et qui d'une part sçavoit entretenir les peuples, d'autre s'asseurer subtilement des grandz, soubstint contre eulx la guerre par plusieurs années et combien qu'à la fin il aye perdu le domaine de quelque cité, ce nonobstant le royaume luy demoura.
8 : Parquoy si noz princes ont perdu leurs estatz, il n'en fault accuser la fortune, mais qu'ilz en donnent la coulpe à eulx mesmes et à leur lascheté. Car pour n'avoir en temps de paix pensé aux mutations de la guerre, comme les hommes ordinairement durant le beau temps ne se soucyent de la tempeste, quand le mauvais temps et adversitez les surprindrent, ilz pensèrent à s'enfouyr, et non à se deffendre, se fyant seulement sus une vaine espérance, que les peuples faschez de l'insolence des vainqueurs, les deussent rappeler en estat.
9 : Lequel party n'est bon sinon quand il n'y en a point daultres. Et c'estoit lourdement advisé à eux de laisser à y pourveoir de bons remèdes, soubz l'ombre de si légière espérance. Car l'on ne doibt jamais se laisser cheoir soubz espérance qu'un aultre nous reliève.
10 : Laquelle espérance n'advient guères souvent, ou si elle advient ce ne peult estre avec ton asseureance, pource que telle défense est vile et deshonneste, et despendante daultruy : et n'y a défenses bonnes, certaines et durables, sinon celles qui dépendent de ta puissance et vertu.