Chapitre 5.

Titre
In che modo siano da governare le Città, o Principati, quali, prima che occupati fussino, vivevono con le loro Leggi. Cap .V.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Par quelz moyens l'on doibt gouverner les citez et principautez qui vivoient seur en liberté avant qu'estre occupées. Chapitre V Comment on doit gouverner les villes ou Principautez lesquelles premier qu'elles fussent gaignées estoyent a elles Chap. 5. Comme il faut gouverner les Citez ou Provinces qui vivoient en liberté auparavant, qu'elles fussent subiuguées. Chapitre V. Comme on doibt gouverner les citez ou principautez, lesquelles avant qu'elles fussent conquises, vivoient à leurs loix. Cha. 5.



Segment 1
Quando quelli stati che s'acquistano, come è detto, son' consueti a vivere con le lor' leggi et in libertà, a volerli tenere ci son' tre modi.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Quand l'on occupe quelques estatz libres qui sont coustumiers de vivre seullement soubz leurs loix particulières, sans estre subjectz à altruy, il y a trois moyens pour seurement les retenir. Quand ces païs qui s'acquierent, comme i'ay dict sont accoustumez de vivre de leur lois en liberte, il y a trois manieres de les tenir. Quand les Seigneuries de nouvel acquises, sont accoustumées vivre soubz leurs propres loix, et en liberté, il y a trois moyens pour les entretenir. Quand les païs qui s'acquierent, comme i'ay dit, sont accoustumez de vivre de leurs loix en liberté, il y a trois manieres de les maintenir.



Segment 2
Il primo è rovinare. L'altro andarvi ad habitare personalmente. Il terzo lasciarli vivere con le sue leggi, tirandone una pensione et creandovi drento uno stato di pochi, che te lo conservino amico:
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Le premier est, les destruire et exterminer, l'aultre y aller habiter en personne, le troysiesme les laisser vivre en leurs loix comme devant et en tirer un tribut, en y créant ung petit estat de saiges, ou de ceulx qui s'appellent les gens de bien, lequel entiendra tout l'estat en amitié au seigneur, Le premier est de les destruire. L'autre d'y aller demourer en personne. Le tiers est de les laisser vivre a leur mode, retenant dessus une pension, apres y avoir establi un gouvernement de peu de gens qui les garde en amitie, Le premier est, de demollir les places capitalles d'icelles : L'autre, d'y estre tousiours en personne : Et le tiers, de les laisser vivre avec leurs vieilles loix, et coustumes, en tirant d'eux quelque certain tribut, et y erigeant une quantité d'officiers, et conseil de ville favorisant ton party, qui maintiendra le peuple en ton amitié, et obeissance. Le premier est de les destruire. L'autre d'y aller demourer en personne. Le tiers est de les laisser vivre à leur mode, retenant dessus une pension, apres y avoir estably un gouvernement de peu de gens qui les conserve en amitié :



Segment 3
perche, essendo quello stato creato da quel' Principe, sa che non può stare senza l'amicitia et potentia sua, et ha da fare el tutto per mantenerlo; et più facilmente si tiene una Città usa a viver' libera con il mezo de suoi Cittadini che in alcuno altro modo, volendola preservare.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
à cause qu'ung tel estat ne peulx estre et durer, sans la faveur et aide du prince, veu qu'il a esté par luy érigé, dont il doibt tascher et s'efforcer en toutes sortes de les entretenir en son amitié. Car plus facilement l'on maintient une cité libre par le moyen de ses propres citoyens que par quelconque autre moyen, si l'on la veult préserver de ruine. pource que estans ce peu de gens eslevez en cet estat par le prince, ilz sçavent bien qu'ilz ne peuvent durer sans sa puissance et son amitie, et qu'ilz doivent faire tout leur possible pour le maintenir. Et certes si on veut garder, une ville accoustumee de vivre en liberte, on la tient beaucoup mieulx par le moyen des citoyens mesmes qu'autrement. Car la compagnie de ces nouveaux officiers, cognoissant que son autorité ne peut subsister sans ta faveur, qui luy tient la main, sera contrainte faire toutes choses necessaires a la conservation de tes droitz. Et une Cité d'ancienne liberté ne se peut mieux, ne plus facilement tenir en subiection, que par le moyen de ses propres Citadins. parce que estans ce peu de gens elevez en cet estat par le Prince, ils sçavent bien qu'ils ne peuvent durer sans sa puissance & sa bonne grace, & qu'ils doivent faire tout leur effort pour le maintenir. Et certainement si on veult garder une cité accoustumée de vivre en liberté, on la tient beaucoup mieux par le moyen des citoyens mesmes qu'autrement.



Segment 4
Sonoci per essempio gli Spartani, et li Romani. Li Spartani tenerno Athene, et Thebe creandovi uno stato di pochi, nientedimeno le perderono.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Nous avons pour exemple, les Lacedæmoniens, aultrement appellez Spartains, et les anciens Romains. Les Lacedæmoniens combien qu'ilz créassent un estat de peu en forme d'aristocratie en Athène et en Thèbes, après qu'ilz les eurent subjuguées pour mieulx les retenir, si est ce qu'en après ilz les perdirent toutes deux. Nous avons pour exemple les Lacedemoniens et les Rommains. Les Lacedemoniens ont tenu ceux d'Athenes et de Thebes y commectans peu de gens a les gouverner, et toutesfois ilz les ont perduz. Nous en avons pour exemple les Lacedemoniens et les Romains. Les Lacedemoniens usurperent Thebes, et Athenes, et se contenterent seulement, sans y faire autre chose, d'y establir à leur poste quelque corps de conseil : aussi ne les garderent ilz gueres. Nous avons pour exemple les Lacedemoniens & les Romains. Les Lacedemoniens ont tenu ceux d'Athenes & de Thebes y commettans peu de gens à les gouverner, & toutesfois ils les ont perduz.



Segment 5
I Romani per tenere Capua, Carthagine et Numantia, le disfecero, et non le perderono. Volser' tener' la Grecia quasi come tennero li Spartani, facendola libera et lasciandoli le sue leggi, et non successe loro, in modo che furon' constretti disfar' molte Città di quella Provincia per tenerla:
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Mais les Romains desfirent Cappoue, Cartaige et Numance pour les tenir, et cela fut cause qu'ilz n'en perdirent jamais la seigneurie : et qui plus est ilz essayèrent quelque foys de tenir la Græce en la forme que les Spartains l'avoient tenue, luy laissant sa liberté et ses loix tirant seulement un certain tribut, mais ce moyen ne leur succèda jamais heureusement tellement qu'ilz furent contraictz de ruiner plusieurs citez dicelle province pour la dominer en plus grande seureté. Les Rommains pour garder Capue, Cartage, et Numance les ont rasees et ne les ont pas perdues. Ilz voulurent tenir la Grece quasi comme faisoyent les Lacedemoniens la remectant en liberte et luy laissant ses loix, mais il ne leur revint point a bonne fin, en sorte qu'ilz furent contrainctz de ruiner plusieurs villes de ceste province pour la tenir : Les Romains pour tenir Cape, Carthage, et Numance, les raserent iusques aux fondementz, et ilz s'en trouverent fort bien. Depuis ilz penserent de tenir la Grece, comme avoient fait les Lacedemoniens, la maintenant en ses franchises, et luy permettant l'usage de ses loix. Ce qui leur succeda peu heureusement, en maniere qu'il leur fust necessaire pour la garder, de ruiner plusieurs grosses villes de la Province. Les Romains pour garder Capue, Cartage, & Numance les ont rasees, & ne les ont pas perdues. Ils voulurent tenir la Grece quasi comme faisoient les Lacedemoniens la remettant en liberté & luy laissant ses loix : mais il ne leur revint pas à bonne issue, en sorte qu'ils furent contraints de ruiner plusieurs villes de la province pour la maintenir :



Segment 6
perche in verità non c'è modo sicuro a possederle, altro che la rovina. Et chi divien' padrone d'una Città consueta a viver' libera et non la disfaccia, aspetti d' essere disfatto da quella: perche sempre ha per refugio nella rebellione, el nome della libertà et li ordini antichi suoi, li quali ne per longheza di tempo ne per benificij mai si scordano;
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Car à la vérité il n'y a meilleur remedde pour bien posséder un pays libre que de le destruire, et qui devient maistre d'une cité accoustumée à vivre en liberté, et ne la deffaict sans aulcune faulte, il sera desfaict luy mesme par icelle. Car à tous les coups elle a le nom de liberté pour refuge, et toujours réclame à ses anciens ordres, et regrette la doulceur de l'esgalité populaire, lesquelles choses on ne peult jamais oublier ny arracher de la mémoire, ny par long espace de temps, ny par aulcun bénéfice, car pour certain il n'y a point de plus seure maniere pour iouir des villes que les raser. Mais qui devient Seigneur d'une ville acoustumee d'estre a soy, et ne la destruict point qu'il sattende d'estre destruict par elle, pource quelle ha tousiours pour refuge en ses rebellions le nom de la liberte et ses vieilles coustumes, lesquelles ny par la longueur du temps, ny pour aucun bienfaict ne s'oublieront iamais, Et veritablement c'est le plus asseuré moyen, que i'y voye. Car quiconque vient a subiuguer une Cité d'ancienneté libre, et n'en ruine point les forteresses, il faut qu'il se attende d'estre luy mesmes ruyné d'icelles, parce que quand les Citoyens voudront se rebeller, ilz auront tousiours leurs recours au doux nom de la liberté, et ordonnances de leurs anciens, qui ne ce peuvent iamais oublier, pour aucune longueur de temps, car pour certain il n'y a point de plus seure maniere pour iouïr d'une province que de raser les places. Mais qui devient Seigneur d'une cité accoustumée d'estre à soy, & ne la destruit point qu'il s'attende d'estre destruit par elle : pource qu'elle a tousiours pour refuge en ses rebellions le nom de la liberté & ses vieilles coustumes, lesquelles ne par la longueur du temps, ne pour aucun bienfait ne s'oublieront iamais,



Segment 7
et per cosa si faccia, o si provegga, se non si dis'uniscono o dissipano li habitatori, non si dimentica quel' nome ne quelli ordini, ma subito in ogni accidente vi si ricorre; come fè Pisa doppò tanti anni ch' ella era stata posta in servitù da Fiorentini.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
et n'y a chose qu'on leur puisse faire à cela, et quoy que le seigneur invente ou pourveoye jamais ce tant désiré tiltre de liberté ne se mect en oubly, sinon que les habitans en soient chassez et exterminez, ains soubdain à la première occasion qu'ilz peuvent avoir ilz y recourent. Comme a faict Pise de naguère, laquelle dès si long temps avoit par les Florentins estée subjuguée et réduicte en servitude. ny pour chose qu'on y face ou qu'on y pourvoye (si ce n'est qu'on chasse et dissipe les habitans) ceste liberte ni ses privileges ne se peuvent effacer. Comme il advint a Pise apres tant d'annees quelle fut mise en servitute des Florentins. ne bons traittemens qu'on leur face. Et quelque remede ou prevoyance que lon y mette, les habitans ne se divisent ou desunissent point d'ensemble, pour temps qui passe, ny ne perdent la souvenance de leur premier estre : à quoy ilz auront perpetuellement leur refuge, s'offrant la premiere occasion qui voudra. Comme feit la cité de Pise, apres avoir, tant d'années esté subiette aux Florentins. ne pour chose qu'on y fasse ou qu'on y pourvoye (si ce n'est qu'on chasse & disperse les habitans) cette liberté ne ses privileges ne se peuvent effacer. Comme il advint a Pise apres tant d'années quelle fut mise en servitude des Florentins.



Segment 8
Ma quando le Città o le Provincie sono use a vivere sotto un' Principe et quel' sangue sia spento, essendo da una parte use ad obedire, da l'altra, non havendo il Principe vecchio, farne un' infra loro non s' accordano, vivere liberi non sanno, di modo che sono più tardi ad pigliar' l'armi et con più facilità se li può un' Principe guadagnare, et assicurarsi di loro.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Mais quand les citez ou provinces sont accoustumées à vivre en subjection soubz un prince, et que luy et sa lignée soit extaincte, les peuples ne sont pas si hardiz à prendre les armes, pour ce que d'un costé ilz sont coustumiers d'obéyr à autruy, dautrepart après avoir perdu leur ancien prince, à créer un nouveaux d'entre eulx ne s'y accordent et vivre en liberté ne sçavent, tellement qu'ung prince estrangier les peult aiseement gaigner et diceulx s'asseurer. Mais quand les villes ou nations sont acoustumees a vivre soubz un prince et que sa race est faillie, puis qu'elles sont en partie ia stillees d'obeïr, d'autre coste n'ayant point de viel Seigneur, d'en choisir un nouveau de leur corps, elles ne s'accorderoyent iamais, de vivre en liberte elles ne sçauroient, tellement qu'elles ne s'avancent pas si tost de prendre les armes. Par ainsi le prince les peut vaincre plus aisement et s'en asseurer mieux. Il en advient tout au rebours, quand les villes, ou nations sont coustumieres de vivre soubz la subiection d'un Prince, le lignage duquel est du tout estaint, et extirpé. Car estant d'un costé naturellement apris d'obeïr, et de l'autre ayans perdu leur ancien Seigneur, n'ont pas l'advis en eux d'en créer un nouveau, et de vivre en liberté, s'y congnoissent encores moins, si bien qu'à grande peine lon les voit iamas revolter. Et parainsi un Prince les peut facillement gagner, et se donner garde d'eux. Mais quand les villes ou nations sont accoustumées a vivre soubs un Prince, & que sa race est faillie, puis qu'elles sont en partie ia stilées a obeïr, d'autre costé n'ayant point de vieil Seigneur, d'en choisir un nouveau de leur corps, elles ne s'accorderoient iamais, de vivre en liberté elles ne sçauroyent, tellement que elles ne s'avancent pas si tost de prendre les armes. Parquoy le Prince les peut vaincre plus aisement & mieu s'en asseurer.



Segment 9
Ma nelle Republiche è maggior' vita, maggior' odio, più desiderio di vendetta, ne gli lassa, ne può lassare riposare la memoria della anticha libertà, tal' che la più sicura via è spegnerle, o habitarvi.
Jacques de Vintimille Guillaume Cappel Gaspard d'Auvergne Jacques Gohory
Mais es républicques il y a plus durable vigueur, plus grande haine, plus opiniastre désir de vengeance, et la mémoire de leur ancienne liberté de jour en jour refreschie ne les laisse jamais en repos, et leur baille matière de faire quelque nouveautè. Donc je concludz que le plus seur moyen de tenir telz estatz, est de les destruire, ou d'y habiter en personne. Mais les communautez des gouvernements vivent plus longuement, hayssent et desirent la vengeance plus asprement. Car la memoire de ceste ancienne liberte ne les laisse, ny peut laisser a repos, si bien que le plus seur moyen est de les ruiner, ou d'y demourer. Mais les Republiques et communautez sont bien de plus longue vie, et durée, gardans eternellement leur hayne accompagnée d'un perpetuel desir de vengeance, tant que la memoire de l'ancienne liberté ne les laisse, ny ne les peut iamais laisser en repos : tellement que le meilleur est de les deffaire entierement : ou bien s'aller tenir toute sa vie sur les lieux. Mais les communautez des gouvernements vivent plus longuement, hayssent & desirent la vengence plus asprement. Car la memoire de cette ancienne liberté ne les laisse, ne peut laisser a repos, si bien que le plus sur moyen est de les ruiner, ou d'y demourer.