23. Comment c'est qu'on doit fuir les flateurs Chap. 23.

1 : Ie ne veux pas laisser ny oublier une grande faute, et matiere de consequence, de laquelle les Princes d'auiourd'huy ne se peuvent facilement exempter, s'ilz ne sont tressages, et bien avisez a sçavoir choisir les personnes,

2 : entre autres les flateurs : de laquelle matiere les livres sont pleins d'exemples. Pource que les hommes se complaisent tant en leurs propres affaires, et se flatent de telle maniere, qu'a grand peine se sauvent ilz de cette peste

3 : de laquelle si on se veut defendre il en peut avenir un autre danger d'estre estime de peu de cœur. Car il n'y ha point meilleur moien de trancher la broche aux flateurs, sinon qu'on donne entendre aux personnes qu'ils ne feront point de desplaisir en disant la verite : Mais aussi quand un chascun peut dire la verite, l'honneur et reverence qu'on doit porter au Prince faut au besoin.

4 : Doncques un Prince prudent doit tenir un tiers moien, ayant pour son conseil des gens entenduz, ausquels, et non a d'autres, il donnera liberte de luy dire la verite de ce qu'ilz leur demandera seulement : aussi doit il interroguer de tout, et oüir leurs opinions, et puis conclurre la dessus a part soi a sa mode.

5 : aussi doit il interroguer de tout, et oüir leurs opinions, et puis conclurre la dessus a part soi a sa mode. Puis en ses conseils, et envers un chacun particulierement se porter en sorte, qu'il n'y ait celuy qu'il ne connoisse, que tant plus librement on parlera plus luy sera agreable : outre ceux la n'ouir autre personne, poursuyvre tousiours ce qu'il aura delibere, et estre entier en ces meures deliberations.

6 : Qui faict autrement ou bien il est abatu par les flateurs, ou bien il est variable, pour la diversite des iugemens des hommes, d'ou vient le peu d'estime qu'on a de luy.

7 : A ce propoz ie veux amener un exemple de nostre temps. Messire Luc l'un des gens de Maximilian Empereur d'a present parlant de sa maieste disoit, qu'elle ne se conseilloit a personne, et toutesfois ne faisoit rien eu sa fantasie,

8 : ce qui procede pource qu'il ne se gouverne autrement que nous n'avons declare pource que l'Empereur estoit un homme fort secret, ne communiquant ses opinions a personne, et ne prenant l'avis de nul : mais ainsi comme il les vouloit mettre en effect, on commençoit a les connoistre et decouvrir : lors ceux qu'il avoit a lentour de luy contredesoient, et luy comme trop doux s'en deportoit. De la venoit que ce qui faisoit un iour il le defaisoit l'autre, et qu'on ne pouvoit entendre ce qu'il avoit delibere de faire, et que l'on ne se pouvoit fonder sur son conseil. aussi doit il interroguer de tout, et oüir leurs opinions, et puis conclurre la dessus a part soi a sa mode.

9 : Par tant un Prince se doit tousiours conseiller, et demander l'avis a plusieurs quand il luy semblera bon, et non pas au gre des autres, ains plustost il doit renvoier le conseil de celuy qui s'ingere de le conseiller s'il ne luy demande. Aussi doit il estre de son coste grand demandeur, et s'enquerir souvent, et de plusieurs, puis ouir paciemment la verite touchant ce qu'il interrogue, et s'il sçait que quelcun pour certain respect ne luy en dise pas ce qu'il en pense, s'en facher.

10 : Et d'autant qu'aucuns estiment qu'il y a des Princes lesquelz ont bruict d'estre sages, non pas qu'ilz soient telz de leur nature, mais par les bons cerveaux qu'ilz ont au tour d'eux, pour certain quilz se trompent bien fort :

11 : car ceste regle ci generale ne faut iamais, qu'un Prince s'il n'est sage de soy mesmes ne sçauroit estre bien conseille, si d'avanture il ne se repose et remet entierement sur un seul qui le gouverne du tout, et que celuy la soit homme fort avise :

12 : en ce cas il pourroit estre bien conseille, mais il seroit de petite duree, pource que tel gouverneur en peu de temps le depouilleroit de ses estatz.

13 : D'autre part s'il prent le conseil de plusieurs, iamais il ne les trouvera d'un mesme acord, et luy, s'il n'est de tresbon iugement, ne les pourra bien acorder : puis de ses conseillers un chacun pensera a son profit particulier, et luy ne les pourra corriger ny connoistre. Or n'en trouve lon point d'autres auiourd'hui, car les hommes decouvrent a la fin leur mechancete, si necessairement ilz ne sont contraints d'estre bons.

14 : Somme ie conclu que le bon conseil, soit de qui on voudra, vient de la prudence du Prince, et non pas au contraire le sage gouvernement d'un Prince du bon avis de ses gens.